Ma drogue

Ma drogue….

Au fond de ma couchette d’Airbus, alors que nous survolons sûrement l’Azerbaïdjan je peine à trouver le sommeil. Le rythme et le décalage imposent des périodes de repos à mon corps alors qu’évidemment l’inverse semblerait évident.

Dans cet état étrange, je déambule mentalement, au gré des images qui me traversent l’esprit.
Je vole alors que je devrais courir. J avais prévu ce dimanche une course dans les Alpes, le tour de la Grande Casse. La veille du départ, en bouclant ma petite valise, bâtons-chaussures-goretex, je constate malgré moi que cette douleur persistante au genou est encore bien présente. Malgré les anti-inflammatoires, malgré moi.

Le TFL. Un grand classique chez les coureurs. Très handicapant. Il est douloureux de monter ou descendre les marches. Cette pointe, vive, disparaît après quelques jours de repos mais revient, pernicieuse, dés que je me remets en mouvement.
Le grand raid dans deux mois, le marathon du médoc avec les potes en septembre. Aucun doute sur mes priorités, je reste chez moi.
D’expérience.

Projetant un we blasant à Paris, j.accepte, une fois n est pas coutume, de dépanner le planning 340 et de partir sur Delhi. Cette division 340 si bien dimensionnée où l’on alterne 5ans au mini garanti et un rush estival qui sort de nul part….

Bref.

Ainsi allongé sur ma couchette, donc, je réfléchissais à ce que je lis partout ces derniers temps. Dans des revues qui se ressemblent -à peu près- toutes, il est souvent propos de cette « drogue » qui crée un « manque » dès que les coureurs à pied lèvent le leur.
Adrénaline, endorphine et j’en passe. Je ne remet pas en question ce qui semble provenir d’études très théoriques et scientifiques et j’ose croire à la résultante d’un veritable constat chez de nombreux coureurs.

Mais ma drogue à moi….ce n’est pas ça.
Je n’ai jamais ressenti cet effet d’euphorie que chacun décrit au fil des articles. Bien sur il est grisant, lorsque je suis en forme, d’enfiler une paire de chaussures légères et d’avoir l’impression de littéralement survoler les chemins, de sentir la pression du vent que l’on déplace par son propre mouvement, d’être à l’aise dans son corps, qu’il réponde présent lorsqu’on le sollicite.

La course à pied permet selon moi, d’approcher bien plus l’etat dans lequel on se trouve, une fois durement drogué.

Avant une course, il y a cette excitation. Cet espèce d’inconnu. Même entraîné, même expérimenté, la part d’imprévu inhérente génère toujours ce stress latent de l’avant.
Le cœur s’affole alors même que nous n’avons pas commencé l’acte en lui même. Parce qu’effectivement, à l’instant où l’on s’élance, nous ne sommes sûrs.
De rien.
L’équation a trop d’inconnues. Juste des êtres humains.

Une fois parti, on se dit que finalement on ne sent pas grand chose. On court à un rythme élevé, mi intox, mi nécessité. La drogue ne fait pas effet. C’est même plutôt désagréable. Le temps que tout se mette en route, l’esprit, le cœur, le souffle, les jambes…. On se dit que c’était une connerie. Que finalement, ça ne sert à rien.

Petit à petit….la montée. Pas celle qui nous fait gagner de l’altitude vers ce col qui pointe dans un coin du jour. Non la montée de celui qui, ayant pris « sa » drogue commence à en sentir les effets.
Le rythme s’installe. Les écarts se stabilisent. Chacun est dans « sa » course, dans sa bulle. Je commence au bout d’une heure à regarder autour de moi, avec un œil nouveau, une sensibilité accrue. La fraîcheur du matin, l’odeur de la rosée, la chaleur que dégage mon propre corps. Vigoureusement je pousse sur mes jambes, mes mollets brûlent en même temps que j’ouvre mon teeshirt pour respirer à pleins poumons.

J’appuie sur play.

Le démarrage de ma vie. Telle que je la conçois. À l extérieur, en mouvement, dans la nécessaire douleur relative.
Ageless. L’aléatoire de mon iPod. Un titre plutôt lent et bien « choisi » de house of wolves. Au moment où je passe le premier col, la foulée alerte, rapide et raisonnable. Plutôt contradictoire, mais c’est ça aussi, la drogue. On maîtrise sans maîtriser. On pense maîtriser alors que nous sommes…des êtres humains.

Avec un début un milieu et une fin.

La première descente, littérale. Un toboggan de 1000 m vers le fond de la vallée. Il fait jour. Mais frais.
Je me laisse glisser à vive allure. Courir à plus de 35km/h . Je réalise ma chance. Je saute. Je manque de tomber et m’en amuse. Qu’ importe !
Une fois de plus ce sentiment vibrant. Je vis. Je suis la. Je ne pense pas à grand chose au final. Et cela me fait du bien. C’est comme si le fait d’alléger le poids du quotidien de mon esprit me permettait d’avoir une foulée plus légère.

Ma gorge est sèche. Qu’existe t’il de plus agréable que de plonger la tête dans une fontaine alors que la soif se fait sentir ? Ce geste quotidien, vital mais quasi inconscient prend ici tout son sens. L’eau glacée du glacier glisse. Je la sens m’envahir jusqu’au bout des doigts.
Je suis high. Et ce n’est que le début.

Je reprend ma route.
Pour des heures. Je cours quasiment tout le temps. Sauf quand la pente est vraiment trop raide. Il faut garder en tête un souci de rendement. Savoir durer. Pourtant dans cet état ce n’est pas facile de se raisonner. On se sent fort, pas au point de se sentir invincible néanmoins….on garde une petite larme de conscience, douleur oblige.

Je double des concurrents en overdose. Assis sur le bord du chemin, ils sont mal. Recroquevillés sur eux mêmes. Impuissants. Déçus. Ils ont pris un shoot trop violent, une goutte de trop. Il arrive même malheureusement que certains décèdent. C’est un jeu. C’est du sport. Mais nous sommes des êtres humains. Arrêt cardiaque. La pratique a ses limites.

Bien sur ça me fait réfléchir. Ça n’a rien d’anodin. Mais à chaque fois pourtant je replonge.

Je commence à redescendre. Dans ma tête cette fois. La drogue fait moins effet. Je reprends conscience. De mon corps. De son état. Du chemin qu’il me reste à parcourir ; sur les sentiers et dans la vie. La terre me cogne. Je repense à l’inventeur de la roue. C’est con. Mais quelle magnifique invention ! Et moi, j avance par à coups. En totale régression. Les vibrations partent du sol, pénètrent mon tibia, mon genou, mes hanches, le long de ma colonne. Ça résonne dans ma tête. Je me sens franchement moins bien.

Je regrette d avoir touché à ça. D’avoir mis le doigts dans cet engrenage de l’inutile qui semble à cet instant vouloir me nuire.

J ai envie de me refaire un shoot, mais je n’ai plus rien sous la main. Mon corps est vide.
J ai des crampes. Des toxines plein le corps.

La ligne d’arrivée approche. Comme un sommet alpin mais en plus vulgaire. Sans classe. Une banderole et un chapiteau gonflable. C est plutôt moche. En m’agitant, je décoince une petite bulle de plaisir qui me porte jusqu’au pointage final. Un petit sprint et une place, anecdotique.

Je m’affale sur un siège en plastique bleu, ou rouge. Je n’ai pas choisi… Tout s’arrête, net. 21h d’effort. Ma tête se déplace encore par inertie mais mon corps est immobile. Ça me file la nausée . Mes muscles sont raides. Brûlant. Saoulés. La descente est violente. Je sonne creux.
Je n’arrive plus à me remémorer le parcours tant mon cerveau a été saturé d’images et de sensations. Mes amis sont présents. Ils me réconfortent et me félicitent. J’apprécie leur présence chaleureuse.

Toujours en descente et maintenant en début de sevrage, le soir arrive. Le jour est épuisé, comme moi. Pourtant je ne trouve pas le sommeil. Toutes les positions me font souffrir et je dois avoir au moins 39 de fièvre. C’est tout à fait normal il parait. Les kilomètres défilent dans mon esprit. J’hallucine. Ai je vraiment parcouru cette distance, à pied !!? Tous ces sommets, tous ces cols, ces chemins interminables, cette crête aérienne (comme mes humeurs !) ? Dans la même journée ? Dans le même élan….

Je mets plusieurs jours à m’en remettre, à éliminer cette fatigue tacite, latente.
Pourtant je vois clair. Je replace les événements dans leurs contextes. Je recolle les morceaux. Le processus est en place. Je me désintoxique. Je trouve des palliatifs, des placebos. Je trotte 1h par ci et nage une heure par là. Je mange. Beaucoup. J’écris un peu, pour mes proches surtout, et pour moi. Ça a le pouvoir de fixer les choses afin de passer sereinement aux prochaines.

La prochaine. Tout est là. Quoi. Pourquoi. Comment.
La dépendance, l’atteinte à l’intégrité physique. La liberté aussi.
Parce que même sans être en manque cet état me manque. Parce que derrière cette addiction il y a une source permanente et inépuisable d’énergie. Parce qu’aussi cette ´´drogue,, a un côté noble et sain. Qui fait que l’on en accepte très facilement les contreparties. Parce qu’aussi, comme d’autres molécules très probablement, j’ai le sentiment qu’elle m’ouvre l’esprit, m’offre une perpective nouvelle. C’est très puissant. Bien au delà de cette petite lueur de plaisir que pourrait apporter un second souffle d’endorphine…

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